Théologie

Théologie de la jubilescence ou la rénovation du langage théologique

Nous vous présentons ici un bref résumé du livre en cours d’écriture, « la Théologie de la Jubilescence », à paraître en 2020.
Ce livre est une manière de redévelopper la « Théologie du Process » dans le monde francophone, pour le grand public. Si l’on veut aller plus loin sur la Théologie du Process, on peut se référer à l’ouvrage référence en langue française du professeur André Gounelle : « le dynamisme créateur de Dieu ; essai sur la Théologie du Process » (éditions Van Dieren)

I.Le bonheur comme finalité possible de la théologie.

Le bonheur peut-il être l’objet de la théologie ? Cette question n’est pas nouvelle mais elle est plus complexe qu’il n’y parait. Car qui peut définir le bonheur ? Les systèmes qui ont cherché à le faire sont les grands systèmes totalitaires : le soviétisme, le nazisme, mais sans doute autant les Églises chrétiennes lorsqu’elles prétendent le définir à la place des gens. N’existe-t-il pas, par ailleurs, dans nos sociétés, une forme de « tyrannie du bonheur », marquée par le consumérisme, comme l’écrit la sociologue Eva Illouz dans son ouvrage « Happycratie » ? À l’inverse, si l’on ne considère le bonheur que comme une notion nécessairement subjective, tout discours est-il rendu impossible ? Sommes-nous condamnés au silence sur le bonheur ? La théologie a comme objet Dieu. Elle est un discours « sur » Dieu, et non « à la place de Dieu », ce qui serait un dogmatisme pécheur qui nous ferait croire que l’on peut parler à sa place. La théologie est une œuvre d’humilité, d’invention créative, dont, il me semble, on peut retenir le bonheur comme l’une des finalités. Mon adhésion personnelle à la Théologie du Process est aussi une traversée de vie qui a construit mon bonheur subjectif, au milieu des aléas tragiques de la vie de tout être humain.

La question n’est pas nouvelle, au contraire. Dans l’Évangile, par exemple lors du baptême de Jésus (Marc 1, 9-11), la voix céleste conclue par « en toi j’ai mis toute ma joie (eudokèsa) ». On peut encore citer les Béatitudes, avec un autre mot pour parler des « heureux » : makarioi. Ou encore dans les discours d’adieu de Jésus dans l’évangile de Jean (chapitres 13 à 17). Par exemple, dans le chapitre 16 (verset 22), Jésus dit : « Cette joie, nul ne vous la ravira ». Le mot ici employé, chara, a la même racine que la « grâce » (charis, qui a donné le mot « charisme »). La joie et le bonheur sont donc des notions qui sont en même temps des recherches personnelles et un don. Une première approche du bonheur pourrait être alors de le définir comme la rencontre entre cette recherche de chacun (la part subjective) et le don venu de l’extérieur.

Plus tard, St Augustin (354-430) développa aussi une pensée sur le bonheur en évoquant la « vita beata », la vie bienheureuse. Sans doute marqué par son passé manichéen, ainsi par le néoplatonisme, il radicalisa ce bonheur comme étant une dimension uniquement atteignable dans l’au-delà de notre vie, comme une vertu supérieure idéale. Nous ne partageons pas cette option d’un bonheur réservé à l’au-delà, mais il faut constater que le bonheur est posé ici comme finalité de la théologie. Plus tard encore, Thomas d’Aquin (1224-1274), repris cette thématique du bonheur comme une forme de cheminement vers Dieu. Marqué quant à lui par sa découverte d’Aristote, il eut le souci de définir un bonheur concret, réel, ici et maintenant, loin du dualisme platonicien, un bonheur où la raison a un rôle à jouer. Le bonheur n’est pas que demain. Il est une visée réaliste.

Chez les théologiens du Process que nous allons évoquer, toute la réflexion, mais aussi tout le dynamisme créateur de Dieu est orienté, vers un « enjoyment » (puisqu’ils écrivent en anglais). Ce mot est difficilement traduisible. En effet, il désigne un bonheur en devenir en « process », pas un état stable. Les mots de jubilation, jouissance, joie nous paraissent insuffisants pour traduire cela. En cherchant depuis longtemps un mot, mon épouse m’a suggéré ce néologisme de « jubilescence », qui désigne bien, me semble-t-il, cette dynamique d’un bonheur en devenir. La jubilescence sera donc la finalité de notre théologie

II. La Théologie du Process ou le dynamisme créateur de Dieu

Une philosophie d’abord, comme changement de paradigme de notre compréhension du réel

Cette théologie se fonde d’abord sur une philosophie, celle d’Alfred North Whitehead (1861-1947) et surtout sur son ouvrage majeur, datant de 1929 : « Process and Reality ». Le principe de base de cette philosophie est de changer notre point de vue sur le réel. Plutôt que de voir des êtres ou des choses qui provoquent des évènements, elle nous invite à voir notre monde comme un flux, un process, d’évènements qui se succèdent. Ce sont les évènements qui font le monde. Whitehead les appelle les « entités actuelles ». Du caillou à l’être humain, tout est le résultat d’une succession d’évènements, d’entités actuelles, à un rythme plus ou moins rapide et plus ou moins complexe, qui modèle les choses et les êtres, inertes comme vivants. Ce qui va distinguer les uns et les autres, par exemple ce caillou et cet être humain, c’est la complexité et le nombre d’évènements, ainsi que la rapidité de leurs enchaînements, qui vont les faire devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. À chaque instant son évènement. Celui-ci, pour exister, a besoin de conditions préalables qui le conditionnent et l’orientent plus ou moins. Il existe une infinité d’interactions qui modèlent le monde. Chacun d’entre nous est issu d’un premier évènement, la rencontre de deux gamètes, féminine et masculine, comme un départ initial. Mais les évènements ne sont pas « égaux » dans leur intentionnalité. Si le caillou ne décide pas grand-chose, l’être humain, par sa conscience, peut orienter les évènements en leur donnant une intentionnalité subjective, personnelle. Pour dire cela dans le langage de cette philosophie, chaque « entité actuelle » a sa « visée (aim en anglais).

Whitehead ouvre une réflexion métaphysique, en réfléchissant à l’existence de ces « visées », de ces intentionnalités. Il propose que nommer Dieu l’ensemble de ces possibilités ouvertes. Il met Dieu du côté de l’intentionnalité plutôt que de la causalité. Ce dernier point devient plus complexe dans la mesure ou l’intention d’un évènement passé peut devenir la causalité d’un évènement présent. Ce point sera développé dans le livre à venir.

Une révolution théologique : Dieu, une énergie !

Quelques théologiens américains, notamment John B. Cobb (né en 1925), ont repris ce langage, ces intuitions de Whitehead pour entreprendre de refonder le langage théologique. En effet celui-ci, depuis deux millénaires, s’était attaché à définir Dieu comme un être Tout Puissant, comme la cause de toute chose, et du coup transformait l’être humain en marionnette du grand marionnettiste divin, plus ou moins sympathique d’ailleurs selon les époques et les théologies. Combattre les anthropomorphismes divins et les visions uniquement liées au pouvoir, à la Toute Puissance tyrannique est devenu une urgente nécessité. La théologie chrétienne n’est pas condamnée à être l’avatar des puissances humaines. Libérer l’être humain, c’est aussi le libérer de ses langages aliénants, culpabilisants. Le grand père barbu, mi père Noël, mi père fouettard, est mort ! Vive le Dieu renouvelé… Ces théologiens ont vu dans ce langage l’opportunité de sortir de cette vision classique. Dieu est le sens, pas la cause initiale. Il est l’énergie, la force de proposition, pas la personne qui décide de tout dans un grand « mystère », et qui fait des uns des personnes heureuses, des autres des personnes tragiquement et scandaleusement malheureuses.

Nous pouvons brièvement citer cinq conséquences majeures de cette révolution opérée par la Théologie du Process :

  1. Dieu n’est donc pas de l’ordre de la causalité initiale.

Il n’est pas le faiseur d’évènements que l’on décrit si souvent. Calvin, par exemple, est allé jusqu’à dire que l’évènement d’un homme qui tomberait sur des brigands qui le tuent serait le résultat de la volonté de Dieu. On se réfugie sans doute trop facilement dans ce « mystère » de Dieu pour justifier le sadisme de ce dieu-là. En revanche Dieu peut être, en donnant du sens a posteriori du sens aux évènements, de l’ordre d’une forme de « causalité secondaire ». Prenons un exemple biblique : l’histoire de Joseph à la fin du livre de la Genèse. Joseph est abandonné, et même vendu comme esclave, par ses onze frères. Mais voilà que les aléas de l’histoire vont faire de cet esclave le vice-pharaon. Des années plus tard, les frères, affamés, vont solliciter l’aide de l’Égypte et retrouvent leur frère, qu’ils ne reconnaissent pas. Mais les retrouvailles se feront, avec une dose de méfiance des onze qui ont peur de la vengeance de Joseph. Mais celui-ci aura cette phrase qui scelle la réconciliation : « Du mal que vous m’avez fait, Dieu l’a changé en bien ! » (Genèse 50,20). Ici le mal n’est pas provoqué par Dieu, mais bien par les onze frères qui, seuls, portent la responsabilité de ce mal. Mais si Dieu l’a « changé en bien », cela signifie que Joseph a pu repartir dans la vie malgré cette tragédie. Dieu apparait ici comme un pouvoir de transformation qui ne justifie en rien le mal, n’en est pas à l’origine, mais permet de rebondir, de redonner du sens aux évènements à venir, malgré l’acte abject du départ. Le pardon est ici un dépassement, une re-création.

2. Le problème du mal.

C’est l’éternelle question qui traverse tout être humain ! Comment l’existence de Dieu est-elle compatible avec l’existence du Mal ? Dieu serait-il sadique ou inexistant ? Mais, nous l’avons vu, la Théologie du Process exclut toute forme de responsabilité de Dieu dans le mal, qu’il soit d’origine humaine (comme dans l’histoire de Joseph) ou d’origine naturelle. Les évènements peuvent être tragiques, indépendamment d’une quelconque volonté divine. Loin de nous ces discours de punition de culpabilisation. Nous ne sommes pas les « amis de Job » qui cherchent à trouver des justifications à toute souffrance. Prenons deux exemples bibliques, qui fondent cette lecture du mal :

Genèse 1 : ce récit mythologique ne nous parle pas tant de l’origine du monde que de sa condition présente. La création, c’est chaque jour qu’elle a lieu ! Le chaos est une réalité qui peut ressurgir à chaque instant. Le dynamisme créateur de Dieu s’oppose à la « chaotisation » du monde. Nos propres existences sont traversées par ces deux énergies antinomiques qui s’affrontent au plus profond de nos vies et dans le monde. Il ne s’agit donc pas ici d’une jubilescence naïve, d’une jubilation béate qui voudrait que tout aille mieux demain, mais d’une jubilescence de combat, d’une jubilescence énergique et volontaire.

Les Béatitudes : André Chouraqui, dans son originale traduction de la Bible propose de traduire, dans le texte des Béatitudes, « makarioi » (heureux) par « En marche » (sans allusion politique évidemment). Cela recouvre un peu le sens de cette jubilescence de la Théologie du Process face au Mal. Notre existence est toujours en devenir, et donc en mouvement. La mort se définit comme l’absence d’interaction. La vie est une marche permanente, plus ou moins développée, plus ou moins complexe.

3. Dieu n’est pas une « personne ».

Depuis les débats des premiers siècles, notamment ceux sur la Trinité au concile de Nicée en 325, on s’attache à définir Dieu à partir du concept philosophique de « personne ». Avec les risques anthropomorphiques que nous avons évoqués. La Théologie du Process, en changeant de paradigme de langage, nous incite plutôt à le penser comme une énergie présente en toute chose, en tout être. Au fond, il y a d’un côté le théisme classique, de ce Dieu personne qui intervient dans l’histoire, et, de l’autre, le panthéisme qui divinise les choses ou les êtres. Les théologiens du Process préfère une troisième voie, qu’ils qualifient de « pan-en-théisme ». Mot à mot : Dieu est en tout. Mais en même temps Dieu dépasse tout ; il ne peut être contenu dans une seule chose ou un seul être. C’est sans doute le cœur de la révolution de langage la plus importante de la Théologie du Process.

4. La démarche théologique : le décryptage

Le rôle du théologien n’est plus alors de trouver des concepts pour définir Dieu, pour élaborer des dogmes. Son rôle est désormais de lire le monde pour y trouver, y décrypter, la trace de cette énergie créatrice de Dieu. C’est au fond comme un cycliste qui descendrait de son vélo pour se regarder pédaler… Lire Dieu plutôt que de le définir. Ainsi les théologiens du Process s’intéressent à la culture, aux phénomènes de société. Ils ne séparent pas leur réflexion sociétale de leur réflexion théologique. Ils sont par exemple très engagés depuis longtemps dans les questions écologiques, au nom de la conviction de l’existence d’une interaction globale du réel, bien avant beaucoup d’autres…

5. L’être humain : un partenaire.

Dans cette vision de la Création, Dieu n’est pas le céleste lointain et l’être humain une vague marionnette soumise. Dans la Théologie du Process, et en cela c’est une théologie résolument humaniste, l’être humain a de la valeur. Sa liberté, son libre arbitre, font de lui un être digne d’être dans cette relation avec l’énergie divine. Il existe une forme de partenariat intime entre Dieu et l’être humain, de co-création. Reprenons un exemple biblique : la vigne et les sarments, en Jean 15. Au verset 5, Jésus dit : « Je suis la vigne et vous êtes les sarments ». Or, si l’on prend l’exemple agricole jusqu’au bout. Les raisins poussent sur les sarments, pas sur le cep ! les sarments ont besoin de cette énergie de la terre qui passe par le cep pour produire du fruit. Il en va ainsi de l’être humain qui peut alors produire du fruit, en étant au bénéfice de l’énergie divine. Du coup, la Théologie du Process exclut toute manière de concevoir la société ou même la religion sous la forme de la soumission et de l’uniformisation, tant de la pensée que des pratiques ou des identités. Cela implique bien évidemment un souci de la justice sociale aussi.   

III. Revisiter les grands thèmes de la théologie

La Théologie du Process que nous voulons traduire aujourd’hui par Théologie de la Jubilescence est d’abord, on l’aura compris, une révolution du langage et du regard sur le monde, et donc sur la théologie, sur Dieu et sur la foi. C’est aussi sans doute une manière de vivre tous les jours, entre chaotisation et jubilescence. C’est du coup une invitation à revisiter tous nos grands thèmes de pensée et de vie. Nous voulons ici esquisser quelques-uns d’entre eux en ne faisant que les évoquer, avant de les développer dans le livre à venir.

1.Dieu

Le débat entre le Dieu personne et le Dieu énergie demeurera sans doute de manière éternelle, car chacune des convictions à ce sujet est légitime. On pourra ici noter cette autre voie proposée par le théologien Paul Tillich (1888-1965) qui concilia ce Dieu au-delà de la personne et le maintien d‘une relation « personnelle » avec ce Dieu. Il évoqua le « supra-personnalisme » de Dieu.

On notera tout de même que le Dieu de la jubilescence a des avantages dans son expression :

Il permet de réfuter le patriarcat divin, la masculinisation excessive de ce Dieu par des hommes pendant 2000 ans. Il aura fallu attendre autant de temps pour redécouvrir les « attributs » féminins de Dieu dans la Bible et sortir (ou commencer à sortir) du patriarcat théologique et ecclésial. Mais le Dieu énergie permet de dépasser la question de savoir s’il est « Père » ou « Mère », en le priant comme une énergie et une force, plus que comme une personne.

Dieu n’est pas Tout-Puissant. Là encore cette notion issue du patriarcat religieux qui confond puissance de Dieu et puissance de l’institution nous a fait dévier de cette simplicité du Dieu proche, de ce « Dieu avec nous ». Dieu est mis en échec quand le drame survient, quand Jésus meurt sur la croix. Mais Dieu « rebondit » dans une résilience, un dynamisme de la jubilescence le matin de Pâques. Dieu est puissant, mais il ne fait pas tout, ne peut ni ne veut tout.

Dieu est cosmique : Pourquoi l’énergie divine serait-elle réservée à nous seuls ? encore sans doute peut-on voir là l’orgueil de l’être humain qui conçoit l’univers autour de lui.

2. Le Christ

Là encore, nos débats sur la Christ ont été enfermés dans ce seul débat, depuis les quatre premiers siècles, sur sa « nature » : homme ? Dieu ? Un peu ou totalement les deux ? Ce débat est passionnant certes. Mais la Théologie de la Jubilescence ne se situe pas dans ce débat sur la nature, mais plutôt sur la « structure d’existence » (pour reprendre un mot de la Théologie du Process) de Jésus. Le pari de la foi est de dire que, en Jésus, il y a corrélation complète de sa volonté, sa « visée » et celle de Dieu. On peut, par exemple citer ici le verset de la prière à Gethsémané « toutefois que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne » (Luc 22,42). La question n’est donc plus de croire en la divinité de sa « nature », de sa chair, mais en la divinité de sa volonté. Or, cette volonté ressuscite dans la foi des apôtres dont nous sommes encore aujourd’hui les héritiers. C’est La Parole qui a été faite chair (Jean 1), c’est-à-dire la volonté de Dieu incarnée dans un homme.  C’est La Parole qui ressuscite. Jésus incarne pour nous la volonté de Dieu.

3. Le Saint Esprit

Curieuse histoire que celle de ce concept. Il fut l’un des éléments pivots du dogme de la Trinité, dont il faut ici rappeler qu’il est tardif, défini à Nicée en 325, dans un contexte particulier d’une controverse théologique par rapport à l’arianisme, l’une des pensées théologiques de l’époque. Il n’est donc pas en tant que tel biblique. Libre à nous donc de réinterpréter cette trilogie autrement que comme ce dogme semble l’avoir figée. Il y aurait sans doute beaucoup à dire que l’évolution même de l’interprétation de la Trinité du 4e siècle au 21e. Notons sans doute une évolution qui peut se rapprocher d’une compréhension revisitée par la Théologie de la Jubilescence : l’approche de Calvin. Celui-ci développe une notion forte de l’Esprit dans ce qu’il appelle le « témoignage intérieur du Saint-Esprit ». Il y décrit cette présence intime de Dieu en nous, non pas sous la forme d’une extase ou d’un miracle, mais dans une pensée intérieure. Notamment, il en parle au sujet de notre rapport au texte biblique. Il existe en quelque sorte une double inspiration du texte biblique. En amont, le pari de la foi est de dire que ces textes, écrits de la main des hommes, sont inspirés par Dieu. Celui-ci n’est pas l’auteur de la Bible. En aval, le lecteur, l’auditeur du texte peut être inspiré dans sa lecture ou son écoute pour faire de ce texte une Parole reçue. C’est dans ce rapport précisément que Calvin évoque le témoignage intérieur du Saint Esprit. La Théologie de la Jubilescence est sans doute assez proche de cette compréhension. Elle ne valorise pas les manifestations extatiques que l’on attribue parfois à l’Eprit, mais plutôt cette dimension d’énergie intime qui me met en mouvement, en process, qui provoque une interaction entre Dieu et l’être humain.

4. L’Église

Que serait une « Église jubilescente » ? D’abord ce ne pourrait être une Église immuable puisque, par conviction fondamentale, seule la mort est immuable. Toute vie est en devenir, en évolution. Concevoir le réel, la vie et donc aussi la foi comme une succession d’évènements nous invite à penser l’Église comme une « occasion d’évènements », c’est-à-dire comme une communauté (sens étymologique) qui favorise les interactions, qui ouvre le champ des évènements, et qui ne les contraint pas. Peut-être pourrions-nous aussi revenir au sens originel du mot « évangile », qui est construit sur le préfixe « eu » (bon, bonne) et la racine « ange » (nouvelle). En ce sens, nous sommes en faveur d’une Église « évangélique » dans son sens primordial de faire de nous des anges, c’est-à-dire des porteurs de bonne nouvelle. La tristesse, ou même la triste mine, ne devraient pas faire partie de l’ADN de notre Église universelle. Favoriser les évènements c’est aussi laisser sa place à la surprise. Je rêve d’une Église où les projets ne serait qu’à moitié préparés…

5. Le Culte

Dans la même ligne que notre compréhension de l’Église, le culte est une symbolisation, une narration du dynamisme créateur de Dieu. On pourrait en comparer la structure au récit mythologique de Genèse 1 : du chaos à l’harmonie. Comme nous l’avions évoqué au sujet du problème du mal, ce récit n’est pas un récit qui raconte comment le monde a été créé, mais comment il vit au présent. Un culte, une célébration, doit viser la jubilescence de celles et ceux qui y participent. La prédication doit être, là encore au sens étymologique, « eu-phorique », c’est-à-dire porteuse de bonheur. Le jugement ou la culpabilisation n’y ont donc pas leur place. En revanche, une incarnation du texte biblique dans la situation que vivent les fidèles favorise ce processus de jubilescence. Il peut y avoir même une part d’émotion (ce dont souvent les protestants classiques se méfient…) mais en lien avec une vraie réflexion. Emotion et raison peuvent s’y conjuguer dans un processus de création.

6.Le péché

Nous l’avions évoqué dans la Théologie du Process, Dieu est une force de proposition de sens (aim). Mais il existe, selon ces théologiens, un « écart » entre la visée de Dieu (« initial aim ») et celle de chacun de nous (« subjective aim »). C’est précisément cela le péché : notre faillibilité dans notre dynamisme créateur. Loin de nous culpabiliser, cela permet d’apprivoiser cette fragilité de la condition humaine. Se croire tout puissant et tout parfait nous mène aux pires déconvenues. S’accepter tel que l’on est peut nous permettre de nous aimer. Un psychologue ne vous dirait pas le contraire. Mais déjà la Bible l’affirmait : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, et tu aimeras ton prochain COMME TOI-MÊME. »

7.La prière

Le professeur Laurent Gagnebin dit et écrit souvent cette phrase : « Joindre les mains, ce n’est pas se croiser les bras ; joindre les mains, c’est rejoindre les autres. » Nous nous reconnaissons pleinement dans cette affirmation. Si l’on traduit cela dans les termes de la Théologie de la Jubilescence, prier, c’est se mettre au bénéfice de l’énergie-Dieu, afin de pouvoir ensuite être dans le flux des évènements et des interactions. Ce n’est pas être passif et laisser à Dieu le soin de tout faire à notre place. Il faut aussi noter qu’il existe de multiples formes de spiritualités et de prières, du silence solitaire à la louange collective en passant par l’art ou l’action sociale (qui est une forme de prière, de Parole-Action). Nous les évoquerons dans le livre à venir.

8.L’au-delà

Si le christianisme a largement développé une série de thèmes et de représentations sur l’au-delà de notre vie, force est de constater que la Bible est plus sobre… On peut sans doute résumer ces rares évocations bibliques en disant que ce qui les traverse est la conviction d’une présence divine dans la vie, dans la mort et au-delà de la mort, même si rien n’est décrit de cet au-delà, contrairement au foisonnement de la peinture à ce sujet, qui s’est d’ailleurs plus attachée à l’enfer qu’au paradis… La Théologie de la Jubilescence ne va plus définir cet au-delà. Elle se contente modestement de penser que chaque évènement devient l’une des causalités des évènements qui vont suivre et que rien ne meurt complètement d’un évènement. Si la mort d’un être humain est, pour nous, une séparation radicale, ce qui reste de la vie des morts se poursuit, ailleurs peut-être, ici certainement…

9.L’éthique de la jubilescence

Un chapitre entier y sera consacré dans le livre à paraitre. Là encore si l’on applique les principes de la Théologie de la Jubilescence à l’éthique, on construit celle-ci à partir du dynamisme (re)créateur. Nous ne sommes pas dans une éthique du jugement et de l’uniformisation des principes, mais de celle de l’adaptation aux flux des évènements en devenir. Les principes, les valeurs que nous défendons, chacun, entrent en interaction avec les situations rencontrées. L’éthique est la conjugaison des valeurs et des réalités. Elle n’est en aucun cas dans l’enfermement du réel, dans le modelage du réel à notre image. Si l’on vise une jubilescence, l’éthique n’est pas là pour entraver le bonheur mais pour le laisser éclore. Cela peut se traduire dans nos réflexions sur la bénédiction de tous les mariages, au sujet de la PMA pour toutes et de bien d’autres sujets encore. Nous le verrons dans le livre à paraitre.

 En forme de conclusion : et la foi ?

Dans cette Théologie de la Jubilescence, héritière de la Théologie du Process, que nous avons cherché à définir, à formuler en reformulant les « mots pour la dire », nous avons fait appel aux étymologies pour retrouver le sens fondamental de nos convictions. Mais nous avons aussi créé des néologismes, à commencer par celui de « jubilescence ». Mais qu’est-ce qu’un « néo-logisme », si ce n’est un nouveau mot, une nouvelle parole ? Alors précisément la foi jubilescente est toujours une « nouvelle Parole ». Les vôtres ; à vous d’inventer la vôtre…

Jean-Marie de Bourqueney.